A propos d'une femme de Philippe Minyana

“Qu’est-ce qu’une femme ?” semble nous glisser à l’oreille Philippe Minyana. Une drôle de question que nous pourrions balayer d’un revers de main, en affirmant qu’il s’agit d’une différence chromosomique. L’affaire est ici close dans le territoire d’un microscope. Mais changeons d’outil et prenons un macroscope. Quittons le laboratoire scientifique et posons nous sur la scène avec l’œil de Marcial Di Fonzo Bo. Là tout change. Tout devient tempête, errance temporelle.

Une femme est bien plus qu’un chromosome divergent, c’est un trait d’union entre l’espace et le temps, entre les générations. Elle regarde le monde, elle le déchire, elle le prolonge. La femme ici c’est Elisabeth (magnifique Catherine Hiegel). Elle est heidegerienne. Posée ici, échappant au miroir du futur, elle est un présent dissolu. Elle est en attente. Par intermittence sa mémoire lui livre des messages, des rêveries, des erreurs, des conneries. La mort savoure cet instant. Une éternité avant l’acceptation, le passage. Les parents, les pertes, les enfants, les maris trompeurs, les amis, les joies, les peines. Tout défile, tout semble un instant s’accrocher au temps devenu espace féérique. Un ballet de portes. Comme autant de portes ouvertes sur la mémoire de cette femme.

Faut-il suivre ce fil ? Faut-il écouter le bruit et la fureur du monde ? Où doit passer la dernière heure de la conscience de cette femme ? Dans les arbres, les odeurs des bois ? Dans la résolution du conflit avec son père ? Dans les bras de sa fille ? Tantôt fille, tantôt amie Hélèna Noguera nous livre ses mille et une facettes d’actrice. Elle est majestueuse. Elle emporte d’un revers de main le temps et dessine l’espace des coulisses d’Elisabeth.

Marc Bertin et Raoul Fernandez sont de la partie. Ils participent de cette danse en incarnant eux aussi plusieurs personnages avec flamboyance et énergie. Tous sont en attente de cette fin de vie, tous y plongent l’énergie vitale et sourde. Faut-il privilégier la fête ? Ou simplement prendre les vêtements de cette mère disparaissant ?

L’écriture de Philippe Minyana est incisive. Elle écorne nos normes, défriche l’espace, ensorcèle par sa rythmique. Elle se joue des répétitions, elle les cache et nous oblige a suivre le rythme d’une course de fin de vie. Nous courrons, nous sommes obligés, de crier, chanter, danser et oublier que cette course c’est celle de la fin. Pourtant notre conscience à chaque instant nous freine, puis le rythme nous entraîne à nouveau. Une perfusion, un goutte-à-goutte, un souffle-à-souffle, une écriture qui devient une expérience sonore et vibratoire unique. Avec lui nous prenons un malin plaisir à aller cueillir les groseilles à maquereaux. Nous les comptons comme autant de possessions qui nous conduisent, à la fin, vers une ultime question.

 

Sonia Bressler

 

Pour plus d'informations :

Une femme de Philippe Minyana. Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo avec Marc Bertin, Raoul Fernandez, Catherine Hiegel, Helena Noguerra, Laurent Poitrenaux. (1h30)

 

Théâtre de la Colline jusqu’au 17 avril tel 01 44 62 52 52

Puis en tournée : 23 au 25 avril Saint Etienne, 6 mai Brive, 13 au 15 mai Montpellier (Théâtre des 13 vents), 13 au 30 janvier 2015 TNP Villeurbanne, 18 au 20 février 2015 en tendem : le Théâtre d’Arras et l’Hippodrome de Douai, 3 au 7mars Comédie de Genève (Suisse), 17-18 mars Comédie de Béthune.